Pourquoi votre vision des effets spéciaux n’est pas la bonne !
Aujourd’hui, nous allons réfléchir autour d’un sujet qui nous intéresse tous quand on lance un projet audiovisuel : l’argent. Les effets spéciaux prennent une place de plus en plus imposante dans les budgets. Pour les plus gros blockbusters, c’est souvent bien plus de la moitié ! A ce titre, ils sont étiquetés comme excessivement cher. Et si ce n’était pas réellement le cas ?
De par notre activité, il nous arrive souvent d’échanger sur les effets spéciaux autour de nous. On en dévore sans cesse sur nos écrans et pourtant, ils paraissent si mystérieux… Le grand public ne comprend pas vraiment comment ils sont fabriqués. Il en est de même pour certains professionnels de l’audiovisuel encore aujourd’hui.
Mais s’il y a bien une chose à laquelle tout le monde est tombé d’accord, c’est sur son coût. L’exemple le plus marquant repose sur « les films gros budgets ».À peine le mot prononcé, il sous-entend immédiatement l’utilisation à outrance des effets spéciaux.
Le lien est vite fait : si ces films coûtent si cher à produire, c’est à cause des effets spéciaux.
Comment penser le contraire quand même Hollywood le dit ?
Pourtant, ce sont les premiers à se jeter dessus et à les surexploiter. Quelle est la raison d’après vous ? Ils génèrent un profit incroyable.
L’industrie du cinéma le sait, utiliser des effets spéciaux, c’est l’assurance d’offrir un spectacle nouveau, d’ouvrir la porte des rêves et créer la surprise. Et je ne vous parle même pas des énormes campagnes publicitaires qui en profitent dans leurs spots télévisés.
Mais c’est aussi et surtout le moyen le plus efficace d’attirer des spectateurs par millions dans les salles obscures.
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Il en a toujours été ainsi.
Saviez-vous qu’« Un voyage dans la lune », datant de 1902, est le premier film à être considéré comme un succès commercial ? La raison ? Au-delà d’une histoire remarquable, c’était le premier à exploiter véritablement les effets spéciaux. Il a littéralement transformé le cinéma. Les gens se bousculaient pour avoir la chance de découvrir ce chef d’œuvre. Son réalisateur n’est autre que Georges Méliès, l’homme qui a joué le premier rôle pour les développer dans le 7ème art. Et il est français !
Les méthodes de diffusion n’étaient pas aussi mondialisées à l’époque. On ne peut donc pas comparer ce succès à ceux que nous connaissons aujourd’hui. Si cet exemple n’est pas suffisant pour vous convaincre, allons un peu plus loin avec « Les dents de la mer ».
Il a aussi transformé le cinéma à sa manière, en amenant avec lui, la notion de Blockbuster tel qu’on la connait aujourd’hui. Réalisé par Steven Spielberg en 1976, quel est son point commun avec le film de Georges Méliès ? Une histoire efficace (tirée d’un roman), et des effets spéciaux utilisés sans modération.
Le tournage aurait pu être envisagé autrement ? Impensable, à moins d’inviter les acteurs à se baigner aux côtés d’un requin blanc. Pas très sexy comme idée.
Depuis tout ce temps, les effets spéciaux ont toujours aidé les réalisateurs à repousser leurs limites. Ils offrent la chance de raconter des histoires qu’il serait impossible d’exploiter dans la vraie vie. C’est aussi pour cette raison qu’ils attirent autant les gens, ils offrent du rêve et une échappatoire onirique au quotidien.
Mais dans le fond…
Ce sont les idées qui coûtent cher, pas les effets spéciaux.
Pensez-vous qu’un film comme Black Panther puisse être envisageable sans effets spéciaux ? A première vue, ce serait utopique. Vous pourriez essayer avec toute la bonne volonté du monde, mais pour quel résultat ?
Si vous êtes passé à côté du phénomène, l’histoire prend majoritairement place au Wakanda, un pays africain imaginaire développé dans l’univers Marvel où le héros éponyme se bat pour la survie des siens.
Comme tout bon Marvel qui se respecte, il a fallu une quantité astronomique d’effets spéciaux pour le concrétiser. Le budget du projet s’étale sur 200 millions de dollars. Les retombées financières engrangées par son passage au cinéma sont encore plus impressionnantes : plus d’1,3 milliard de dollars.
Rentable on avait dit ?
Si Marvel avait décidé d’utiliser des moyens plus traditionnels pour réaliser son film, quelles auraient été les possibilités ?
– Construire la capitale du Wakanda, ce mélange entre gratte-ciel et traditions africaines : Dubaï a beau être à la pointe de la technologie architecturale, nous sommes encore loin d’envisager un tel résultat pour nos villes actuelles. Et puis même si c’était possible, ça prendrait infiniment plus de temps et d’argent qu’un simple fond vert.
– Brûler un palais : un peu plus réaliste, mais à quel prix ? Imaginez la tête du producteur si le premier essai n’est pas le bon.
– Faire décoller des vaisseaux survitaminés (qu’il faut déjà réussir à construire) : on pourrait demander à la NASA si c’est envisageable, mais j’ai quelques doutes.
– Trouver une énorme caverne pleine de Vibranium : jusqu’ici, nous n’avons pas réussi à mettre la main dessus. À moins qu’on nous ait menti…
– Créer des costumes qui s’enfilent par la simple pression d’un bouton (et qui ne font aucun pli) : oui, même les costumes sont numériques pour faire plus joli à l’écran. Mais si vous trouvez le même sur Amazon, n’hésitez pas à mettre le lien dans les commentaires.
La tâche semble compliquée n’est-ce pas ?
Rien que pour ça, nous pouvons déjà envisager des centaines de milliards de dollars à emprunter.
Si le making-of VFX du film vous intéresse, en voici un plutôt intéressant présenté par Scanline, un des studios en charge des effets visuels.
C’est vrai, je vous parle d’un film « gros budget ». Mais le raisonnement est identique pour n’importe quel projet, peu importe son budget.
Prenons un exemple plus concret. Imaginons que vous vous lancez dans un court-métrage avec un budget à peine suffisant pour louer une place de parking. Peu importe la raison mais vous avez jeté votre dévolu sur un lieu bien précis. Un cadre historique dans une petite ville de province charmante. Vous voulez faire votre tournage ici et pas ailleurs. Malheureusement, certains éléments du décor vous dérangent. Ils peuvent être nombreux : nouveaux panneaux de signalisation, bâtiments disgracieux, échafaudage…
Vous avez deux solutions. La première consiste à les retirer facilement en post-production avec quelques effets spéciaux, moyennant certainement quelques centaines d’euros. La seconde, un peu plus directe vous force à appeler la mairie pour leur demander s’il est possible d’ôter ce fichu panneau qui vous gêne la vue (je suis gentil, je ne prends pas le bâtiment disgracieux comme exemple).
Quel est le choix le plus simple et le plus économique d’après vous ?
Le contraire fonctionne aussi. Vous avez besoin d’étendre le décor ? Un clocher ? Un pont ? Il serait plus simple de les construire ou d’utiliser les effets spéciaux ? Oui, ça peut coûter cher, mais il n’y a pas de secret.
Comme dans tous les domaines, l’argent dépensé est corrélé au nombre de personnes allouées à la tâche et au temps disponible. Si votre idée est de redonner ses lettres de noblesses à un château en train de dépérir, ça peut vite être complexe car créer des effets spéciaux, c’est très difficile. Il demande de mutualiser d’innombrables compétences très variées.
Plus les scènes portées à l’écran sont complexes et fourmillent de détails, plus le nombre d’artistes et le temps sont importants. Pour réaliser les deux films les plus spectaculaires du cinéma comme « Les Avengers » ou « Ready Player One », il a fallu employer plusieurs centaines de personnes sur de nombreux mois.
Tout simplement parce que c’est nécessaire. Ce n’est pas malléable, tout comme le nombre de jours consacrés au tournage ou l’écriture du scénario.
Et pourtant, il est monnaie courante de jongler avec des deadlines réduites. Les producteurs essaient constamment de tirer les coûts vers le bas en réduisant le temps nécessaire aux effets spéciaux. Résultat, ça n’apporte rien de bon pour la qualité d’un projet. Au contraire, la pression sur les épaules des artistes et les chances d’erreurs sont nettement plus importantes. C’est pourtant le quotidien vécu dans la majorité des studios du monde entier.
L’exemple le plus marquant de ce phénomène nous vient directement d’outre-Atlantique avec le film « Odyssée de pi ». C’est une merveille audiovisuelle qui a permis à Rhythm and Hues, le studio à l’origine de ses effets spéciaux, de remporter un Oscar. Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de mettre la clé sous la porte à peine 3 mois plus tard pour faillite. Comment un studio capable de faire ce genre de chefs-d’œuvre peut-il en arriver là ?
Les effets spéciaux peuvent être coûteux pour la simple et bonne raison qu’ils permettent de créer des univers et des personnages fantastiques à partir de rien. Lorsque nous envisageons de construire ou de réaménager une nouvelle architecture, un tel montant ne nous surprend pas. Parce que nous savons que ça demande du temps, des compétences, des hommes et des matériaux. Alors pourquoi ça le serait pour des effets spéciaux ?
Ils ne demandent pas de l’argent pour le plaisir de s’en mettre plein les poches. C’est simplement le fruit d’un mélange entre beaucoup de travail, des hommes et une sensibilité artistique essentielle.
On oublie trop souvent que les effets spéciaux sont là pour apporter une forme à nos idées les plus incroyables. Ce n’est pas seulement la solution la plus économique pour créer des images qui retiendront l’attention des spectateurs, c’est également la seule que vous ayez.
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[…] C’est d’ailleurs un nouvel exemple qui vient casser cette idée que les effets spéciaux sont ch…. Au contraire, ici, ils ont permis d’éviter un déplacement en pleine montagne qui aurait certainement rendu impossible le court-métrage. […]